Cher Livronaute et danstapagien, de jour en jour tu te fais plus nombreux aux portes de notre royaume, et, ne pense pas que nous soyons ingrates, nous t’en sommes même reconnaissantes. Il est donc de notre devoir de répondre à tes questionnements. Car oui, malgré les décibels de la foule en délire, tes interrogations arrivent jusqu’à nous. Toi, qui est bibliothécaire, prof-doc, ami, passionné de livres, néophyte ou un peu tout ça à la fois, nous entendons tes craintes qui se résument bien souvent à cette question : « c’est pour quel âge ? ». Tentons d’éclairer ta lanterne afin que tu trouves le chemin de l’illumination.
1 – De l’importance de l’âge en littérature.
Chaque chose à sa place et une place pour chaque chose. Et dans la décoration feng shui de la littérature, les livres ne sont classés ni par taille, ni par couleur, ni par ordre alphabétique de titre. Beaucoup moins exotique, on retrouve bien souvent les grandes catégories – en librairie comme en bibliothèque – jeunesse et adulte, elles-mêmes redispatchées en fiction ou documentaire (et c’est là qu’apparaît Melvin Dewey, l’américain qui a sauvé le monde juste derrière Bruce Willis dans Armageddon en organisant nos étagères donc nos esprits vagabonds)…
c’est pas ce Dewey là hein
C’est quoi ce bazar me direz-vous? et oui ce classement n’arrange pas nos petites affaires car la jeunesse c’est une sacré grande catégorie si on considère de ne pas considérer la larve de 6 mois comme la bouillotte hormonale de 15 ans. Et je vous vois venir avec vos grands sabots d’angoisses : Dans ta page, pitié, sortez-nous de la torpeur : quand sait -on qu’on est adulte ? Est-ce que si je suis un adulte, je ne peux plus flâner au rayon jeunesse ? je lis quoi moi?
très très effrayant toute cette liberté
Sois rassuré mon ami, car depuis Harry Potter, les éditeurs ont ouvert le quai 9 3/4 de la littérature en nommant ce qui existait déjà mais dont-on-ne-prononçait-pas le nom : les 15-25 ans, la génération Y ou YZ ou ZZ… bref le YOUNG ADULT (YA pour les initiés).
Pour les moins de 15 ans, on trouve bien souvent à part les albums 0-3 ans (Non mon cher il ne faut pas se fier aux cartonnés) et on vous le répétera jamais assez « les livres, c’est bon pour les bébés »… Pour le reste, c’est parfois noté sur le livre… ou sur le site de l’éditeur…
phrase de synthèse et chapeau introducteur à imaginer à votre convenance.
2 – Du pourquoi nous omettons les âges
On va pas se mentir. je te dirais bien que c’est une confiance aveugle en l’édition mais c’est surtout à cause de deux raisons peu avouables, faisant de cette partie théorique la plus courte de l’histoire de la rhétorique derrière les citations de Ribéry.
Cours flash, cours !
Premièrement : on n’y pense pas
Deuxièmement : on a parfois des difficultés à donner un âge à une lecture. Comme dit l’adage, dans le doute, abstiens-toi.
Mais ne restons pas sur cet aspect négatif de nos formidables personnes, et passons à ce qui fait de nous des meufs fréquentables :
3 – De l’aspect militant de l’oubli
Parce que, ne vous y trompez pas mes amis, en réalité, nous avons longuement réfléchi à cette question, et nous sommes assez pour le « pas de catégorisation de la lecture ». Pour avoir travaillé en bibliothèque, mais aussi en établissement scolaire avec ces fameux boutonneux cités plus haut, nous trouvons réducteurs de vous imposer « nos » catégories d’âge sur telle ou telle lecture.
Exemple flagrant, on va revenir sur Songe à la douceur, l’excellentissime dernier roman de Clémentine Beauvais, roman que j’ai adoré d’amour et que j’aurais conseillé sans hésitation à des 14 ans et plus.
Et bien, lors de l’émission La Grande Librairie, on a vu ça :
Vas -y clique, va chercher bonheur … A partir de 17min45 pour illustrer le propos …
Alors vraiment, je pense que notre rôle dans tout ça, nous « professionnels du livre » c’est de rester attentifs aux lecteurs et d’éviter de les « stigmatiser ». Comme pour les goûts, tous les niveaux de lecture sont dans la nature, alors si un marmot en culotte courte a envie de se taper la recherche du temps perdu grand bien lui fasse. De la même façon, j’ai vu des adolescents de 13 ans monter au CDI pour lire les Max et Lili. De tout on vous dit.
Pour résumer, la lecture, c’est comme la mode, faut éviter le « fashion faux pas » et pour ça, rien de tel que la connaissance de ton lectorat avec un saupoudrage harmonieux de médiation culturelle (oui tu as le droit de ne pas terminer un livre que tu n’as pas aimé, on balancera pas à ta prof de français).
Bref, ne décourageons pas les plus téméraires qui se sentent attirés par un livre trop « complexe » pour eux, et ne complexons pas le timide qui se sentirait plus à l’aise dans des lectures décidées « trop jeunes » ou « trop faciles ».
A ce propos de facilitude, on reviendra peut-être vous remplir le crâne de composition dissertée autour du Facile à Lire et à Comprendre, notre nouvelle passion.
4 – De la promesse à tenir malgré tout…
Enfin, et ce sera là notre conclusion, on le jure sur la croziflette (et on rigole pas avec le gras et le fromage), si on estime qu’un livre représente un danger pour les plus jeunes, qu’il est susceptible de choquer parce que trop effrayant, ou trop « produit vendu avec du sexe-drogue-angesdelatéléréalité dedans », on vous préviendra.
Article passionnant ! Je me destine au métier de libraire, et dans les différents stages que j’ai pu faire j’ai été plus d’une fois confrontée aux yeux fiévreux de parents en quête du Saint Graal pour leur rejeton : « ouiiii il a 6 ans mais il est très en avance », « il n’y a pas de sexualité j’espère, ma fille n’a que 16 ans », etc. etc. C’est toujours délicat de classifier, et de toujours penser que le jugement n’a pas lieu d’être ! En librairie j’ai déjà vu des parents faire la mou quand leur garçon lit le résumé d’un livre rose catégorisé « pour fille », c’est d’un triste.
En tout cas, je comprends votre position, et c’est fort chouette !
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour ce commentaire. Effectivement nous n’avons pas encore abordé le problème du livre genré et ce qui est encore plus problèmatique : ceux qui le réclament !! Et des fois ça commence par la bibliothécaire en passant par les parents. Un peu effrayant comme tous ces réflexes sont ancrés ! À ce propos, je cherche un roman qui parle de princesse rose à paillettes, c’est pour ma fille de 18 mois mais c’est un génie. 😉
J’aimeJ’aime
Oui, pour le coup, je pense que c’est même pire en librairie, nous on peut toujours faire passer la pilule par le statut de l’emprunt –> c’est gratuit, les parents vérifient moins, ce n’est que quand ils rentrent qu’ils découvrent « l’ampleur des dégâts » (mon fils à 9 ans, il n’est pas supposé lire des histoires dans lesquelles on s’embrasse sous l’eau !). Mouahaha, nous sommes des monstres dévoyeurs de jeunesses. Ceci dit, il y a un très bon article (hyper effrayant en fait) de Christian Bruel dans le dernier La Revue des Livres pour enfants sur la censure en littérature jeunesse, et comment les politiques s’emparent de ce poncif de la prétendue dangerosité des livres pour enfants depuis la nuit des temps. D’ailleurs, tout leur dossier « Au risque de la politique » est absolument passionnant, bien qu’hyper hyper super duper démoralisant… des fois, la vie..
J’aimeJ’aime
J’ai adoré votre article! Perso, ça m’agace d’entendre des personnes me dire « t’es adulte et tu lis des livres pour enfant: » Ba oui, ça fait du bien de retomber en enfance de temps en temps. Et puis, chacun a sa vision d’un livre. Pour certains, c’est assez complexe. par contre, je commence à me poser la question pour songe à la douceur. je vois qu’il plaît à tout le monde mais personnellement, je n’ose pas.
J’aimeAimé par 1 personne
Pourquoi tu n’oses pas plonger dans songe à la douceur ?
J’aimeJ’aime
Je n’en sais rien. Je le voyais et je pensais à un énième roman dans le genre girly. Et je vois que tout le monde l’adore. Je tenterais bien mais je ne sais pas. J’ai peur que ça ne me plaise pas. Il y a des livres comme ça que je n’ose pas et d’un coup je craque. Et maintenant c’est peut-être le fait qu’il plaise à tout le monde. j’ai fait ça avec phobos. Je comprenais pas pourquoi ça plaisait à tout le monde. Du coup je l’ai feuilleté en librairie et je l’ai acheté et coup de cœur. Mais je n’ai pas encore lu la suite. Ma PAL est énorme. Plus possible.
J’aimeJ’aime
Songe à la douceur c’est sur est une histoire d’amour mais promis y a rien de girly là dedans (ou alors je suis devenue moi même ce que je ne pensais pas être) après on est pas obligé d’aimer (heureusement) mais j’ai trouvé que c’était incroyable d’avoir réussi à me faire oublier les vers moi qui n’ai aucun atome crochu avec la poésie 🙂
J’aimeJ’aime
Alors, je suis partie cette après midi chez ma libraire. Je lui ai demandé si elle l’avait lu. Elle a détesté. Du coup, j’ai lu le premier chapitre pour voir. (Ma libraire est sympa, elle m’a laissé faire. j’achète beaucoup en même temps). Et honnêtement, dès le début je sautais des lignes. Du coup je ne l’ai pas acheté. Je ne pense pas que j’apprécierais.
J’aimeJ’aime
Y en a tellement à découvrir qu’autant ne pas perdre de temps 😉
J’aimeJ’aime
J’ai découvert votre blog ce mois-ci et cet article me met du baume au cœur. Je suis libraire et il est toujours très difficile de passer outre les barrières des âges données par les parents : « il a quinze ans maintenant, j’aimerais qu’il lise de la vraie littérature! ». Ouch. Parce que Tolkien, Pullman, Ferdjoukh, ou Ponti, c’est pas de la littérature? Re-ouch.
Je ne désespère pas, on y arrivera, patiemment, petit à petit, à désenclaver les livres pour n’en faire qu’une seule grande famille de trésors à partager. En attendant, je vais retenir mes soupirs et tenter de donner le goût de la lecture aux jeunes gens qui passent au magasin. Les petits ruisseaux… 😉
Encore merci pour cet article!
J’aimeJ’aime
Merci Bookwormette, on y arrivera un jour, on y arrivera ! En tout cas, c’est génial de voir qu’on est quand même plusieurs convaincus, de métiers complémentaires, et que, du coup, bientôt, en se regroupant et en unissant nos forces, on pourra bientôt régner sur le monde et obliger les grands à lire des livres « pour les petits » 🙂
J’aimeAimé par 1 personne